vendredi 29 février 2008

Je t'aime moi non plus


La première fois que j'ai vu ce film je l'ai pris comme un énorme coup de poing tant il sortait des sentiers battus. J'ai aimé ce film du début jusque la fin, j'ai aimé son côté underground, son côté provocateur, sa bestialité, sa musique, l'histoire d'amour impossible, la fragilité de Jean Birkin, la plastique de Joe D'allessandro...

Lors de ce deuxième visionnage, quelques années plus tard, avec un œil un peu plus critique, j'ai pu me rendre compte à quel point, lorsque la magie opère, le reste n'a pas d'importance.

Avec ce premier film, Gainsbourg a posé les ciments de ce qui allait être l'essence de son oeuvre. Il a fait très fort dans la provocation. Il s'est attaqué à un des tabous de la société... Il y a plus de quarante ans, Gainsbourg est devenu Gainsbard. La sortie du film provoque un énorme scandale, rares sont les journalistes et les professionnels à l'apprécier, à tel point que le film ne fera que 150.000 entrées sur Paris. Gainsbourg reçoit le soutien d'Henry Chapier, Tchernia et Truffaut mais son orgueil prend un coup et il ne passera derrière la camera que 8 ans plus tard.

Le film évite la classification X de justesse grâce au Ministre de la culture de l'époque et ne sera plus distribué qu'en vidéo.

Année de production 1975
Directeur: Serge Gainsbourg
Johnny Jean: Jane Birkin
Krassky: Joe D'allessandro
Padovan: Hugues Quesler.
= ===
Deux hommes sont à bord d'un camion benne qui transporte des immondices vers la décharge. Leur complicité ne fait aucun doute. Un oiseau noir s’écrase sur le pare-brise laissant une énorme tâche de sang. Le symbolisme de cette première scène est évocateur, comme un présage de ce qui se prépare, comme si cet oiseau venu tout à coup rompre l'harmonie de ce couple qui semble heureux dans un univers où les rebuts sont le quotidien, n'était en fait que le messager d'une brèche qui ne tardera pas à s'ouvrir dans l'osmose.

Gainsbourg à choisi de faire évoluer les personnages dans un milieu d'ordures...n'est ce pas de "relation ordurière" que la société a longtemps qualifiée et continue, hélas, de le faire, les relations homosexuelles ?.. Car les deux hommes sont homosexuels, ils s'aiment, ils sont un couple. Il y a Krassky, l'américain aux origines polonaises, campé par Joe D'allessandro immense icône gay des seventies et star fétiche de Paul Morrisey pour les productions Andy Warhol, pour lesquelles il a joué quelques films très underground sortis dans des circuits fermés aux states, notamment Flesh, Trash et Heat. Des films libres, provocateurs, des ovnis dans une Amérique puritaine. Le choix de little Joe pour son film est indéniablement une réussite. Il a l'habitude de poser nu, de montrer son corps sans pudeur, à défaut d'un véritable talent d'acteur. Sa plastique travaillée, sa belle gueule et son côté polak ne sont pas sans rappeler le Kowalsky d'Un tramway nommé désir, avec le même côté primaire, désabusé et bestial que ce dernier. Dans le film il est doublé par Francis Huster.

Il y a ensuite Padovan, joué par Hugues Quesler, l'italien efféminé éternellement sur ses gardes.
Les deux hommes s'arrêtent dans un snack qui se trouve là, dans cet univers caillouteux, dans ce no man's land, invitant à la découverte de personnages plus curieux les uns que les autres, au milieu de nulle part. Il y a le tenancier, brute épaisse et pétomane et puis il y a Jean, Johnny comme tout le monde l’appelle "parce que je n'ai pas de seins ni de cul" dira-t-elle à Krassky. Jean c'est Jane Birkin, fragile, belle, androgyne, elle détone au milieu de cette faune comme une rose sur du fumier. Johnny Jean ressemble à un garçon, à un adolescent innocent et beau. Je m'appele Krassky mais tu peux m'appeler Krass....

Le coup de foudre est immédiat, inévitable, Krass oublie ses penchants, peu importe que ce soit une femme, il est obnubilé, il vient d'être transpercé par la flèche d'un Cupidon farceur. Padovan sent le danger que cette inconnue représente et tente de raisonner Krass mais c'est trop tard. Johnny Jean, quant à elle, est sous le charme du bel américain, elle lui appartient déjà, elle ne peut plus y échapper. Ils iront dans la chambre consommer la passion foudroyante mais la vue du corps nue, féminin, de Johnny, paralyse Krass. Il lui en veut de ne pas être un garçon, elle ne veut pas le perdre, elle sera un garçon pour lui. Elle lui offrira généreusement son derrière, il la prendra brutalement sous ses cris, insensible au sacrifice du déniement de sa féminité, mû par son désir bestial.

S'ensuivra un périple d'hôtel en hôtel car les cris de Johnny incommodent les voisins. Ils s'enlacent dans une étreinte vraisemblablement non lubrifiée. Lui, savourant ce corps qu'il ne voit plus que comme celui d'un garçon. Elle, espérant que cet amour finisse par lui faire accepter son corps de femme. Ils se font jeter de partout: Dégénérés, allez faire ça ailleurs !.. Padovan erre comme une âme en peine, l'étau s'est refermé, il n'y a plus que Krass et Johnny dans l'écran, le reste n'a plus d'importance. Il vient la chercher avec son camion pour une ballade, elle court vers lui habillée d'une robe qui sied mal à son corps sans formes. Il est visiblement contrarié mais elle arbore cet habit comme un étendard de sa féminité, il cède et là, dans ce décor désertique, sur le plancher sale du camion à ordures et bercés par la chanson "Je t'aime moi non plus", les corps s'enlacent dans l'étreinte habituelle et pourtant, quelque chose à changé en Johnny, c'est peut-être le fait de sentir cette robe se froisser sous les mains de Krass... mais les cris diminuent et elle s'abandonne à la communion des corps, s'adonnant sans retenue au plaisir, se disant sans doute qu'un avenir est possible pour eux. La caméra s'éloigne dans un plan vertical qui accentue l'impression qu'il n'y a que ces deux êtres au monde.

Mais Padovan a du mal à cacher son désespoir et ses air efféminés ne tardent pas à attirer l'attention d'un groupe de clients qui le traitent de "pédé" et le tabassent brutalement. Krass vient lui porter secours et réalise son égarement. Pansant ses blessures avec amour et délicatesse, sentant dans sa propre chair l'injustice de l'agression, il se rapproche à nouveau de son amant et comprend que la fille ne pourra jamais être ce que cet homme est pour lui et là, on a peur pour Johnny, on ne peut pas s'empêcher de penser à l'issue fatale du Dernier tango à Paris...

Je ne vous raconterais pas la fin, je vous recommande de voir ce film rare et beau malgré la crudité des scènes. Vous croiserez Michel Blanc dans un court passage et Gerard Depardieu, clin d’œil aux "Valseuses" dont Gainsbourg refusa de composer la musique, jugeant le film trop sulfureux. Les journalistes demandèrent à Gainsbourg s'il ne connaissait pas l'usage du beurre... La société avait déjà eu l’occasion de voir "Les valseuses", Le dernier tango à Paris et Emmanuelle, entre autres. Mais elle n'était pas prête à accepter que des homosexuels se montrent au plein jour. Ce que l'on accepta à Marlon dans le Tango parce que c'était un hétéro ils ne pouvaient pas l'accepter d'un pédé.

Certes, Gainsbourg n'est pas Bertolucci et le film est loin d'être un chef d'oeuvre mais s'il a été décrié ce n'est pas pour sa valeur cinématographique mais plus par son contenu. Mais ce contenu finalement n'est il pas l'amour entre un homme et une femme et un homme et un homme? N'est il pas une fable humaniste sur un amour impossible, voué à l'échec par l'hypocrésie dont fait preuve l'humanité?
Si le film a un mérite c'est celui de sa liberté.